Le désir légitime de mourir rend-il acceptable l’euthanasie ?
Je m’interroge sur la voie que prend notre société en envisageant la possibilité d’autoriser l’euthanasie[1] et donc de tuer. Est-ce là la réponse que nous souhaitons apporter à ceux qui souffrent ?
Il arrive malheureusement que certains individus souhaitent mourir, du fait de souffrances psychiques ou physiques intenses. Mais quel regard portons-nous sur elles ? Quelle réponse pouvons-nous leur apporter ? Avoir de la compassion pour ces personnes et l’envie de les soulager peut-elle pour autant nous permettre d’accéder à leur demande et rendre acceptable l’idée de l'euthanasie ?
Il me semble qu’en ouvrant la possibilité de tuer, il y a deux choses que nous occultons :
- La première est la souffrance de ceux qui vont devoir tuer. Cette responsabilité pèsera bien souvent sur les épaules de nos soignants qui ont pourtant prêté le serment d’Hippocrate de ne jamais provoquer la mort délibérément.
- La seconde est la voie qu’emprunte la société en permettant de donner la mort pour une « bonne raison ». Or en ouvrant cette voie, il me semble que nous risquons de connaître les mêmes dérives que d’autres pays ayant déjà autorisé l’euthanasie, où le nombre de personnes euthanasiées ne cesse de croître d’année en année, avec une interprétation de plus en plus large des textes[2].
A tous ceux qui sont convaincus que l’euthanasie est une réponse envisageable à une profonde souffrance psychique, je me permets de poser cette question : Une personne de votre entourage, a-t-elle déjà connu une période de dépression et des pensées suicidaires ? Si cette personne avait eu la possibilité de demander l’euthanasie pour mettre un terme à ses souffrances, pensez-vous qu’elle aurait pu se saisir de cette « solution », comme le font certaines personnes aujourd’hui dans les pays où l’euthanasie est autorisée ? Or, où en est cette personne aujourd’hui ? Avec ou sans aide, a-t-elle pu surmonter ses souffrances et retrouver le goût de la vie ?
Et si éventuellement la loi française n’autorisait l’euthanasie qu’aux personnes en souffrance physique (et non psychique) et proches de la mort, pourquoi alors ne pas nous en tenir à la loi Claeys-Leonetti qui instaure déjà un droit à la "sédation profonde et continue" jusqu'au décès pour les malades en phase terminale ?
Je suis bénévole en soins palliatifs et chaque semaine, je m’émerveille du bien-être que les soignants apportent aux malades. Certains d’entre eux arrivent totalement épuisés par d’énormes souffrances et expriment leur souhait de mourir au plus vite. Mais une fois qu’ils sont pris en charge, aimés et choyés, beaucoup s’apaisent et savent qu’ils pourront réclamer la sédation lorsqu’ils entreront dans la phase la plus critique de leur agonie. Avant ce stade final, beaucoup profitent encore d’échanges de qualité avec leurs proches.
Mr Macron, vous avez réagi avec humanité lorsqu’un homme, atteint de la maladie de Charcot, vous a interpellé lors de l’un de vos déplacements et qu’il vous a demandé de faire avancer la loi en faveur de l’euthanasie. Vous avez entendu sa détresse et souhaité faire « avancer le droit à l’euthanasie en France » afin, selon vos mots, « de permettre à chacun de mourir dans la dignité ». Mais je pense que vous vous fourvoyez. Car en effet, pour qu’une personne puisse être digne et respectée jusqu’à son dernier souffle, ne faut-il pas qu’elle entende : « Ta vie a du prix à mes yeux et je suis à tes côtés » plutôt que : « il est vrai que ta vie n’en vaut plus la peine alors je vais t’aider à mourir » ? La réponse à apporter n’est-elle pas plutôt dans un investissement massif dans notre système de santé et plus particulièrement dans les soins palliatifs pour que tous les malades en fin de vie et en grande souffrance puissent y être accueillis ? N’ouvrez pas la boîte de pandore qu’est l’euthanasie et soyez assuré que nous accueillons dans les USP des malades atteints de la maladie de Charcot où ils bénéficient d’une prise en charge étroite pour leur assurer un maximum de confort.
J’ai bien conscience qu’il faudrait que cet article ne fasse que quelques lignes pour avoir une chance d’être parcouru par quelques-uns mais ce sujet, de toute importance, ne peut souffrir de raccourcis. Aussi tant pis, je prends le risque de ne pas être lue, pour avoir au moins le sentiment de participer au débat et de défendre la vision de la société dans laquelle j’aimerais continuer de vivre, qui combat les lois mortifères et rend dignes tous les individus, quels qu’ils soient, jusqu’à leur dernier souffle.
[1] Définition Larousse : Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort de malades incurables qui souffrent et souhaitent mourir.
[2] Au Canada, un homme âgé de 54 ans a effectué une demande « d’aide médicale à mourir », « non pas parce qu’il veut mourir », mais car « il craint de n’avoir aucun autre choix ».
Amir Farsoud souffre d’une blessure au dos survenue il y a plusieurs années, qui l’empêche parfois de dormir « plusieurs jours d’affilée ». Mais ses souffrances ne sont pas à l’origine de sa demande. Il risque de perdre son logement, et bénéficiant de l’aide sociale, il ne peut en trouver un autre.
« Je ne veux pas mourir, mais je veux encore moins être sans abri », témoigne-t-il, expliquant qu’il ne formulerait jamais une telle demande si l’on pouvait lui assurer un logement stable. Pourtant un médecin lui a déjà délivré une première attestation. Si un second médecin fait de même, il deviendra « éligible » à l’aide « médicale à mourir ».
« Des cas comme celui d’Amir Farsoud apparaissent de plus en plus fréquemment à travers le pays », confirme le Dr Kerry Bowman, bioéthicien de l’Université de Toronto. Désormais, des personnes vivant avec un handicap, avec la douleur, ou dans la pauvreté, demandent une « aide médicale à mourir » « non pas à cause de l’expérience physique qu’elles vivent, mais à cause de circonstances sociales. » explique-t-il.
Source : Source : Toronto city news, Cynthia Mulligan et Meredith Bond (13/10/2022) https://toronto.citynews.ca/2022/10/13/medical-assistance-death-maid-canada/
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